Interactions de comptoir

La société est faite d'interactions. Cela n'est ni original, ni banal. Et chaque domaine de la société repose sur des interactions d'amplitude, de qualité et d'intensité différentes. Le monde de la recherche et de l'enseignement n'échappe évidemment pas à cette structure élémentaire de la vie en société et repose même sans doute plus que d'autres domaines sur la qualité de ces échanges qui rythment un cours ou une journée d'études.
Si l'on prend par exemple un enseignement quelconque, il repose évidemment sur une multiplicité d'échanges plus ou moins structurés par des jeux de rôles, par des asymétries d'information (on peut s'attendre à ce que le prof en sache plus que les étudiants, au moins au début du cours) et par des positions institutionnelles et sociales distinctes. Dès lors, qu'est-ce qui fait un bon cours ? Et comment le juger ou l'évaluer ? Il y a évidemment le degré de savoir et de savoir-faire de l'enseignant, qui reposent tout à la fois sur sa maitrise de la matière enseignée, sur des techniques pédagogiques plus ou moins éprouvées et sur une connaissance souvent intuitive de certains profils psychologiques ordinaires. Il y a la qualité de l'échange toujours instable et changeant qui s'instaure entre un enseignant et ses élèves. Je dis souvent à mes élèves que ce sont les bons élèves qui font les bons profs et réciproquement. Cela n'est ni démagogique, ni exclusif d'autres facteurs également déterminants pour la qualité de l'interaction, mais c'est une donnée répétée de tout enseignement, indépendamment de son contenu et du niveau scolaire où il se place. Enfin, ce qui fait un bon cours, ce sont ses résultats que l'on peut classer en quatre catégories principales :
1. Les résultats obtenus en fin de cours par les étudiants, qu'ils soient sanctionnés par l'enseignant concerné ou par d'autres enseignants.
2. L'acquisition des connaissances telle qu'elle se mesure de façon indirecte au capital de savoir obtenu qui sera utile pour les autres cours ou les autres examens à venir. Après tout, même si la structure des formations voile parfois (voire oublie) cet aspect, tout enseignement s'inscrit dans une progression des savoirs. Il doit pouvoir capitaliser sur ce qui a déjà été fait et préparer à ce qui va suivre.
3. La façon dont le cours prépare à une(des) pratique(s) professionnelle(s). Il ne s'agit pas là nécessairement des cours dits "professionnalisants" qui n'ont pas toujours de liens effectifs avec le contenu de ce qui sera exigé par la suite. Mais plus généralement, des connaissances, des réflexes et/ou des réflexions qui sont "utiles" après les études proprement dites.
4. Enfin, "Graal" de l'enseignement, faire progresser l'individu. C'est (encore) une catégorie générique qui inclut aussi bien la structuration de la pensée, qu'une sensibilité nouvelle à un évènement, une pensée, une dynamique matérielle ou sociale, etc.
Tous ces éléments sont évidemment importants. On peut espérer qu'ils sont tous présents à des degrés divers chez les individus concernés à la fin d'un cours. Mais comment les évaluer ? L'évaluation est évidemment nécessaire, car elle rappelle qu'un cours est une interaction et parce qu'elle est utile. Les évaluations faites sur mes cours m'ont par exemple permis d'amender des exercices ou des postures qui ne paraissaient pas efficaces ou pertinentes aux étudiants. Pourquoi en douter et rejeter tout à la fois cette propriété interactive d'un cours et ses finalités diversement objectivables en résultats ? Pourtant, l'évaluation est difficile à pratiquer. Comment intégrer un critère de progression individuelle sinon par des périphrases alambiquées dans les formulaires proposés ? Elle doit être aussi pluraliste et venir des étudiants comme des autres acteurs concernés (les autres enseignants et les employeurs potentiels, y compris les structures de recherche et d'enseignement). Elle doit enfin être elle-même finalisée par cette même idée de progression qui est au cœur de l'enseignement, mais qui doit aussi tendre à son amélioration constante.
Il y a quelques années, arrivant dans une nouvelle institution, j'avais proposé de mettre en place des évaluations systématiques des cours. Mes collègues m'avaient tous à peu près répondu qu'il n'était pas question de se soumettre au jugement d'étudiants incompétents et avaient brocardé ce qu'ils voyaient chez moi comme une "mentalité de procureur" (expression littérale). Mais il s'agit là d'une autre forme d'interaction sur laquelle je reviendrai.

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