La guerre des boutons
Un collègue m'a dit un jour qu'il ne savait pas si la communauté académique, comme l'est en théorie la science politique, produisait ou attirait les tarés. Sa réponse mesurée : "Sans doute les deux".
Depuis fin août, une polémique (?) plus ou moins virulente a occupé une partie de mes collègues, d'abord en nombre limité, puis de façon publique, voire dernièrement institutionnelle. Le nœud de l'affaire ? Un e-mail d'abord privé envoyé par un politiste A à un autre politiste B pour dénoncer ses interventions dans les médias comme déshonorant son titre d'universitaire et sa discipline d'origine. Même si je partage souvent les mêmes agacements que A à l'égard de collègues qui débitent des généralités, voire de fausses assertions, dans les médias, il me semble que la réaction est en elle-même ridicule, sans parler des termes employés qui, par quelque côté que l'on prenne le texte, sont injurieux.
A partir de là, tout part en vrille. Le politiste B, attaqué dans sa dignité, entame une procédure judiciaire pour injure privée (on finit par regretter que la pratique du duel ait disparu...) et le conflit devient progressivement public, A faisant appel à ses réseaux et tentant de prendre l'affaire "par le haut" en réclamant la mise en place d'une charte déontologique au sein de la communauté des politistes. Les prises de position se multiplient, y compris par l'Association Française de Science Politique, dont le bureau se garde bien de prendre une position sur le fond et annonce la création d'une commission sur la charte d'éthique. Je passe les épisodes intermédiaires pour arriver à la dernière étape : un journaliste ayant évoqué l'affaire (Sylvain Bourmeau sur Mediapart) et comparant les interventions de B à celles d'une politiste C, plutôt proche de A, voilà que le feu prend au lac, l'institution de C, l'Université de Paris 1, publiant même un communiqué officiel de soutien en dénonçant, le fait que l'on ait "pu mettre sur le même plan les activités scientifiques de C (...) et celle de politologues mondains (on aura lu qu'il s'agissait principalement de B...) qui dévoient leurs titres universitaires par des interventions à l'emporte-pièce et sans aucun fondement scientifique dans les médias". Et de conclure, superbe, "la vigilance s'impose pour préserver notre liberté".
Certes, certes...
Deux aphorismes : d'abord Montesquieu, pour qui "la gravité est le bonheur des imbéciles" et Kissinger, à qui l'on demandait un jour pourquoi les universitaires se disputaient et qui répondait "parce que les enjeux sont nuls".
Le conflit ne pourra être résolu. C'est un conflit de personnes, appuyé sur des conflits institutionnels entre les deux principales institutions où s'exerce en France la science politique, Sciences Po et Paris 1. Pour avoir appartenu aux deux institutions (même si je n'ai fait qu'un bref passage d'ATER à Paris 1), y avoir été également à l'aise pour travailler et savoir qu'il y a autant de bons politistes que de mauvais des deux côtés, je sais ce que cette concurrence instituée peut avoir d'artificiel et combien elle est une perte de temps et un frein à une professionnalisation sereine de la science politique. Résoudre ce conflit serait admettre le caractère largement factice de ce jeu de positions et d'institutions, guerre de tranchées ou guerre des boutons, on ne sait pas trop.
Autre raison pour laquelle le conflit n'aura pas de solution véritable : les arguments déployés confondent sens commun, évaluation scientifique et principes moraux, trois regitres discursifs, qui sont non seulement inconciliables, mais dont l'usage conjoint aboutit à la confusion mentale de la plupart des protagonistes. On parle d'activité scientifique ou de déontologie ? On parle d'analyse théorique ou de jugement normatif ? Là encore, on ne sait pas trop.
S'il n'y a pas de réelle solution, le conflit accouchera tout de même de quelques "produits" : une décision judiciaire début janvier ; une commission de déontologie de l'AFSP, qui devrait aboutir à la rédaction de quelques principes communs (j'attends sans impatience d'en connaître le contenu et les modalités pratiques...).
Tout ça pour ça...
Kate Bush, please...
Depuis fin août, une polémique (?) plus ou moins virulente a occupé une partie de mes collègues, d'abord en nombre limité, puis de façon publique, voire dernièrement institutionnelle. Le nœud de l'affaire ? Un e-mail d'abord privé envoyé par un politiste A à un autre politiste B pour dénoncer ses interventions dans les médias comme déshonorant son titre d'universitaire et sa discipline d'origine. Même si je partage souvent les mêmes agacements que A à l'égard de collègues qui débitent des généralités, voire de fausses assertions, dans les médias, il me semble que la réaction est en elle-même ridicule, sans parler des termes employés qui, par quelque côté que l'on prenne le texte, sont injurieux.
A partir de là, tout part en vrille. Le politiste B, attaqué dans sa dignité, entame une procédure judiciaire pour injure privée (on finit par regretter que la pratique du duel ait disparu...) et le conflit devient progressivement public, A faisant appel à ses réseaux et tentant de prendre l'affaire "par le haut" en réclamant la mise en place d'une charte déontologique au sein de la communauté des politistes. Les prises de position se multiplient, y compris par l'Association Française de Science Politique, dont le bureau se garde bien de prendre une position sur le fond et annonce la création d'une commission sur la charte d'éthique. Je passe les épisodes intermédiaires pour arriver à la dernière étape : un journaliste ayant évoqué l'affaire (Sylvain Bourmeau sur Mediapart) et comparant les interventions de B à celles d'une politiste C, plutôt proche de A, voilà que le feu prend au lac, l'institution de C, l'Université de Paris 1, publiant même un communiqué officiel de soutien en dénonçant, le fait que l'on ait "pu mettre sur le même plan les activités scientifiques de C (...) et celle de politologues mondains (on aura lu qu'il s'agissait principalement de B...) qui dévoient leurs titres universitaires par des interventions à l'emporte-pièce et sans aucun fondement scientifique dans les médias". Et de conclure, superbe, "la vigilance s'impose pour préserver notre liberté".
Certes, certes...
Deux aphorismes : d'abord Montesquieu, pour qui "la gravité est le bonheur des imbéciles" et Kissinger, à qui l'on demandait un jour pourquoi les universitaires se disputaient et qui répondait "parce que les enjeux sont nuls".
Le conflit ne pourra être résolu. C'est un conflit de personnes, appuyé sur des conflits institutionnels entre les deux principales institutions où s'exerce en France la science politique, Sciences Po et Paris 1. Pour avoir appartenu aux deux institutions (même si je n'ai fait qu'un bref passage d'ATER à Paris 1), y avoir été également à l'aise pour travailler et savoir qu'il y a autant de bons politistes que de mauvais des deux côtés, je sais ce que cette concurrence instituée peut avoir d'artificiel et combien elle est une perte de temps et un frein à une professionnalisation sereine de la science politique. Résoudre ce conflit serait admettre le caractère largement factice de ce jeu de positions et d'institutions, guerre de tranchées ou guerre des boutons, on ne sait pas trop.
Autre raison pour laquelle le conflit n'aura pas de solution véritable : les arguments déployés confondent sens commun, évaluation scientifique et principes moraux, trois regitres discursifs, qui sont non seulement inconciliables, mais dont l'usage conjoint aboutit à la confusion mentale de la plupart des protagonistes. On parle d'activité scientifique ou de déontologie ? On parle d'analyse théorique ou de jugement normatif ? Là encore, on ne sait pas trop.
S'il n'y a pas de réelle solution, le conflit accouchera tout de même de quelques "produits" : une décision judiciaire début janvier ; une commission de déontologie de l'AFSP, qui devrait aboutir à la rédaction de quelques principes communs (j'attends sans impatience d'en connaître le contenu et les modalités pratiques...).
Tout ça pour ça...
Kate Bush, please...
Commentaires
Quoiqu'il en soit, je pense qu'un nombre très réduit de politistes, en l'occurence des visages qui ne seront pas inconnus des téléspectateurs de C dans l'air, jette un certain discrédit sur la profession et tend, malheureusement, à masquer le vrai travail de recherche effectué par la plupart de leurs collègues. L'action de B n'a pas contribué à réhabiliter celle-ci.
Tout le monde est perdant suite à ce procès.
Mais le point de l'intervention dans les médias me paraît au fond le point le plus important à retenir. Je suis assez partagée à ce sujet, le format journalistique étant par essence réducteur et synthétique, et donc relativement inadaptée à l'intervention de chercheurs dont le travail est (devrait être?) au contraire d'approfondir un sujet. Malheureusement, une attitude de retrait face aux médias implique de laisser le champ libre à un certains nombre d'individus moins scrupuleux et toujours ravis de donner leur opinion lorsqu'on leur demande, sur n'importe quel sujet.Le dilemme me paraît difficilement dépassable, dans la mesure où ce qu'attendent les journalistes, y compris ceux des organes de presse les plus reconnus lorsqu'ils interrogent des politistes, ce sont avant tout des opinions, et non une réelle expertise : qui est le plus susceptible de gagner l'élection, combien va faire le centre, qui est le plus présidentiable, et j'en passe et des pires.
Pour autant, je suis entièrement de votre avis quand vous dites que certaines résultats de recherche sont d'une grande importance pour le débat public, et non commentés. Malheureusement, je crois que la démarche du journaliste et du chercheur sont relativement antagoniques. Il y a des schémas d'interprétation tout prêts pour chaque problème (l'impact de l"UE sur l'intégration, l'effet des médias sur les électeurs, le vote FN, etc, etc) qui sont parfois antagoniques avec les résultats des analyses approfondies, et de depuis des années et des années, pourtant ces résultats ne sont pas intégrés dans le cadre d'interprétation des médias. Pour la simple raison que vous évoquez : parce que les travaux sérieux de sciences politique sont longs, souvent fait par des quantitativistes, souvent en anglais, et qu'il est plus facile d'inviter toujours les 5 mêmes pseudos experts pour renforcer son propre schème d'interprétation
La remarque n'est pas propre à la science politique d'ailleurs : obseervons les "philosophes" et les "économistes" français présents dans les médias...
Bon courage au Cevipof!