Science politique du doigt mouillé
Depuis longtemps, notamment depuis Durkheim et ses Règles de la méthode sociologique, nous savons que les sciences sociales ne sont pas des sciences expérimentales. Même si la frontière est moins stricte qu'il y paraît souvent, l'argument soutenu repose sur le fait que, contrairement aux sciences dites "exactes", nous ne pouvons procéder par expérimentation pour tester nos hypothèses, pour procéder à l'administration de la preuve. De façon plus précise, le problème est souvent associé à la nature des objets observés : les faits sociaux ne peuvent être reproduits artificiellement au gré de l'observateur, selon l'expression même employée par Durkheim, et il est impossible de les détacher de façon satisfaisante d'autres faits sociaux. Ils ne sont donc analysables que dans leur contexte et dans un cadre d'observation qui laisse une place nécessaire au récit et limite les possibilités de formalisation et de mathématisation, ce que Passeron a bien établi en définissant les sciences sociales comme des "sciences historiques".
A partir de là, la comparaison s'est progressivement imposée comme substitut à l'expérimentation (Philippe Schmitter estime ainsi que la politique comparée est devenue "synonyme de l'étude scientifique de la politique"), sans pour autant délivrer totalement les chercheurs de leur fascination pour l'expérimentation. Toutes proportions gardées, les sondages, qui servent de supports à l'analyse des comportements électoraux, sont une bonne illustration des outils approximatifs forgés pour reproduire articifiellement certains faits politiques, en l'occurrence le vote. Là aussi, depuis longtemps, en particulier en France avec les analyses de Bourdieu, nous savons que les sondages sont un vecteur très imparfait de connaissances, spécialement lorsque ces connaissances sont censées avoir une vertu prédictive. Sans être exhaustif, il est possible de rappeler ici que la plupart des sondages sont effectués sur un échantillon si limité que la marge d'erreur statistique rend bien aléatoire l'interprétation des résultats. Les "savantes" corrections apportées par les instituts s'apparentent le plus souvent à un bidouillage né de l'expérience passée, qui fait souvent de ces pratiques une science politique du doigt mouillé. Ce qui signifie également qu'ils "trouvent" parfois des résultats ou des tendances relativement satisfaisants. Après tout, lorsque le vent souffle fort, il n'est pas trop compliqué d'identifier sa direction.
Tout ceci pour dire que John Zogby, directeur de l'institut de sondages qui porte son nom, a raison d'être prudent dans l'interview accordée aujourd'hui à Libération, lorsqu'il reconnaît que les sondages donnant Obama largement gagnant ne présentent qu'une garantie limitée ("je me refuse à dire que les jeux sont faits"...). La plupart des sondages donnent actuellement 5 à 10 points d'avance au candidat démocrate, mais au-delà de la marge d'erreur habituelle, même corrigée, l'élection présidentielle aux Etats-Unis, et spécialement celle-ci, pose des problèmes supplémentaires. D'abord parce que l'élection se fait au suffrage universel indirect, chaque Etat désignant des délégués (538 au total) qui ont pour tâche d'élire le président et le vice-président. Aux Etats-Unis, on fait ainsi une différence entre le vote populaire, tel qu'il ressort du suffrage exprimé, et le vote "électoral", qui enregistre le résultat du vote des délégués. Parmi les présidents récents, l'un des "plus mal élus" fut Clinton, qui en 1992 recueillit seulement 43 % du vote populaire (notamment en raison de la présence de candidats indépendants), mais 69 % du vote des délégués. Il y a donc souvent deux types de sondages aux Etats-Unis : les sondages nationaux et les sondages limités aux Etats. Actuellement, l'attention se concentre sur quelques Etats forts pourvoyeurs de délégués, comme la Pennsylvanie ou la Floride, qui peuvent faire basculer le vote électoral, alors que les sondages donnent une avance assez large à Obama pour le vote populaire (un site pour les configurations de vote possibles).
Mais cette élection présente un souci particulier pour les sondeurs (comme pour les électeurs...), que certains désignent parfois sur un ton embarrassé par la présence d'un "facteur racial". La question se pose en effet de savoir si les sondés sont vraiment honnêtes quant à leurs intentions de vote et/ou s'ils ne vont pas s'abstenir ou changer leur choix au dernier moment, en estimant qu'ils ne peuvent aller finalement jusqu'à élire un Afro-américain à la présidence. Plusieurs grands quotidiens et instituts de sondage ont tenté d'évaluer cette marge d'erreur supplémentaire à "corriger" éventuellement dans les résultats publiés. Un chiffre souvent cité est celui de 6 % (curieusement l'écart actuel...), ce qui rend là encore aléatoire toute interprétation des sondages actuellement publiés. Et l'absence de comparaison possible ne permet pas ici de substituer cet outil à cette pauvre approximation d'expérimentation...
A partir de là, la comparaison s'est progressivement imposée comme substitut à l'expérimentation (Philippe Schmitter estime ainsi que la politique comparée est devenue "synonyme de l'étude scientifique de la politique"), sans pour autant délivrer totalement les chercheurs de leur fascination pour l'expérimentation. Toutes proportions gardées, les sondages, qui servent de supports à l'analyse des comportements électoraux, sont une bonne illustration des outils approximatifs forgés pour reproduire articifiellement certains faits politiques, en l'occurrence le vote. Là aussi, depuis longtemps, en particulier en France avec les analyses de Bourdieu, nous savons que les sondages sont un vecteur très imparfait de connaissances, spécialement lorsque ces connaissances sont censées avoir une vertu prédictive. Sans être exhaustif, il est possible de rappeler ici que la plupart des sondages sont effectués sur un échantillon si limité que la marge d'erreur statistique rend bien aléatoire l'interprétation des résultats. Les "savantes" corrections apportées par les instituts s'apparentent le plus souvent à un bidouillage né de l'expérience passée, qui fait souvent de ces pratiques une science politique du doigt mouillé. Ce qui signifie également qu'ils "trouvent" parfois des résultats ou des tendances relativement satisfaisants. Après tout, lorsque le vent souffle fort, il n'est pas trop compliqué d'identifier sa direction.
Tout ceci pour dire que John Zogby, directeur de l'institut de sondages qui porte son nom, a raison d'être prudent dans l'interview accordée aujourd'hui à Libération, lorsqu'il reconnaît que les sondages donnant Obama largement gagnant ne présentent qu'une garantie limitée ("je me refuse à dire que les jeux sont faits"...). La plupart des sondages donnent actuellement 5 à 10 points d'avance au candidat démocrate, mais au-delà de la marge d'erreur habituelle, même corrigée, l'élection présidentielle aux Etats-Unis, et spécialement celle-ci, pose des problèmes supplémentaires. D'abord parce que l'élection se fait au suffrage universel indirect, chaque Etat désignant des délégués (538 au total) qui ont pour tâche d'élire le président et le vice-président. Aux Etats-Unis, on fait ainsi une différence entre le vote populaire, tel qu'il ressort du suffrage exprimé, et le vote "électoral", qui enregistre le résultat du vote des délégués. Parmi les présidents récents, l'un des "plus mal élus" fut Clinton, qui en 1992 recueillit seulement 43 % du vote populaire (notamment en raison de la présence de candidats indépendants), mais 69 % du vote des délégués. Il y a donc souvent deux types de sondages aux Etats-Unis : les sondages nationaux et les sondages limités aux Etats. Actuellement, l'attention se concentre sur quelques Etats forts pourvoyeurs de délégués, comme la Pennsylvanie ou la Floride, qui peuvent faire basculer le vote électoral, alors que les sondages donnent une avance assez large à Obama pour le vote populaire (un site pour les configurations de vote possibles).
Mais cette élection présente un souci particulier pour les sondeurs (comme pour les électeurs...), que certains désignent parfois sur un ton embarrassé par la présence d'un "facteur racial". La question se pose en effet de savoir si les sondés sont vraiment honnêtes quant à leurs intentions de vote et/ou s'ils ne vont pas s'abstenir ou changer leur choix au dernier moment, en estimant qu'ils ne peuvent aller finalement jusqu'à élire un Afro-américain à la présidence. Plusieurs grands quotidiens et instituts de sondage ont tenté d'évaluer cette marge d'erreur supplémentaire à "corriger" éventuellement dans les résultats publiés. Un chiffre souvent cité est celui de 6 % (curieusement l'écart actuel...), ce qui rend là encore aléatoire toute interprétation des sondages actuellement publiés. Et l'absence de comparaison possible ne permet pas ici de substituer cet outil à cette pauvre approximation d'expérimentation...
Commentaires
De manière certes expéditive, on peut se contenter de rappeler que "la sociologie comparée n'est pas une branche de la sociologie ; c'est la sociologie même, en tant qu'elle cesse d'être purement descriptive et aspire à rendre compte des faits" (Durkheim, RMS, 1895/Quadrige 2007, p. 137.)
Le texte de Schmitter pour la nouvelle EPSR va faire du bruit (de manière générale, je trouve une immense portée à tous ses derniers textes, qui en font un des plus grands auteurs de la science politique contemporaine avec Sartori, Przeworski et d'autres).
Concernant les sondages, je ne suis qu'à moitié satisfait de cette analyse “prudentielle”, où certains instituts sont des mavericks du chiffre et d'autres des commentateurs plus posés. À mon avis le comportement des instituts est mieux décrite comme une variable relationnelle.
Je pense qu'il faut identifier une variable supplémentaire, une sorte de feedback effect dans le système entre les instituts de sondage et leurs clients. Si le poids des sondages précédents influe sur les redressements, leur réception et leur exactitude déterminent aussi la “dose de prudence” qui enveloppement les sondages futurs.
Pour vérifier cette idée, il faudrait voir si les instituts qui se plantent lourdement à t-1 adoptent un comportement plus prudent à t que les instituts qui se sont moins plantés. Le cas échéant, on pourrait affirmer qu'il y a bien un phénomène de co-production des chiffres entre les instituts, leurs clients et l'opinion publique.
La massification des téléphones portables chez les jeunes (qui apparament supportent Obama) et le fait qu'il n'y pas de moyens techniques pour savoir si les gens qui ont un portable et participent a un sondage disent la "vérité" en fonction de leur status socio-économique, introduisent un autre élément d'incertitude en plus de l'élément racial que vous avez mentionné.
On ne saura qui a gagné les éléctions que lorsque le College Electoral aura donné les résultats...
Ou bien, on peut aller aux sites éléctroniques de paris et voir ou les parisseurs mettent leur argent.