PSFIO

L'histoire ne se répète pas, mais certaines situations présentent des analogies pour partie liées à des dynamiques structurantes qui, elles, peuvent se répéter. C'est le cas, me semble-t-il, de la situation du Parti socialiste français, dont les caractéristiques actuelles présentent des points communs peu rassurants avec l'état de la Section Française de l'Internationale Ouvrière (SFIO) des années 1960. C'est particulièrement le cas au niveau de l'organisation et du leadership, de la doctrine et des programmes affichés, ainsi que de la situation relative du parti dans le système politique.
Sur le plan organisationnel tout d'abord, le PS est aujourd'hui comme la SFIO de l'époque un parti dominé par les élus. Les "éléphants" tant décriés (de manière amusante, l'éléphant est le symbole du Parti Républicain aux États-Unis) ne sont que la partie la plus visible d'un appareil essentiellement animé par les élus locaux et nationaux, plus que par les militants. Ces derniers ne sont en fait activés que dans la préparation des élections, d'abord comme armée de réserve à tracter et à coller, ensuite, depuis les primaires de 1995 et celles de 2007, comme un moyen de désigner dans l'urgence un leader pour les élections présidentielles. Cette situation génère une double incompréhension : chez les militants domine le sentiment d'être peu écoutés, partiellement compensé par la possibilité de manier l'arme de sélection massive que constituent les primaires ; chez les dirigeants, la maitrise des arcanes du parti dans les périodes "ordinaires" tranche avec leur marginalité relative, lorsque l'appareil se met en ordre de marche plus ou moins serré derrière le/la leader désigné(e). La domination "ordinaire" des élus tranche ainsi avec la prise de contrôle extraordinaire des militants. Le seul moyen de résoudre les biais ainsi créés est de disposer d'un leader incontestable, qui puisse tout autant rallier la majorité des militants que celle des élus. Lionel Jospin est le dernier à avoir réussi, au sein du parti (il a échoué au-delà), à résoudre cette équation que François Mitterrand était parvenu à incarner dans les années 1970. La question du leadership n'est donc pas seulement liée aux pressions institutionnelles de la Ve République ; elle est aussi un vecteur d'intégration organisationnelle qui fait défaut actuellement et renvoie le PS à la situation d'une SFIO contrôlée dans les années 1960 par un leader décrié, Guy Mollet, qui jouait sur les soutiens variables des "grands" élus du parti.
De manière corollaire, le PS se trouve également, comme la SFIO de l'époque, face à un épuisement de son identité doctrinale, conséquence de conflits successifs. De façon intéressante, le parti socialiste est en effet tout autant incapable que son "ancêtre" d'intégrer de façon cohérente des changements socio-politiques majeurs à ses réflexions doctrinales et à son programme. L'émergence de classes moyennes avait ainsi été intégrée tardivement par la SFIO, repliée sur son identité de parti ouvrier. Même chose, toutes proportions gardées, pour le PS, qui peine à trouver dans le tissu en évolution de la société française, les causes et les groupes susceptibles d'être représentés par une offre politique sociale-démocrate, offre qui prendrait le relais de celle développée par le PS des années 1970, majoritairement attaché aux salariés du privé et du public. Autre problème analogue, les tensions internes au parti sur la construction européenne. De façon presque identique, le PS comme la SFIO se sont retrouvés divisés sur l'opportunité comme sur les modalités de l'intégration européenne. Les conflits internes au PS sur le traité constitutionnel peuvent ainsi être décrits comme un écho lointain des débats au sein de la SFIO relatifs à la Communauté Européenne de Défense (CED) au début des années 1950 ou au Traité de Rome de 1957. L'analogie pourrait même être déclinée sur les questions internationales et sur la position par rapport aux États-Unis, deux séries de thématiques qui sont source là encore de difficultés d'interprétation et de divisions. Faute d'avoir vécu de façon explicite une réévaluation doctrinale comme l'avait fait alors le SPD allemand, la SFIO s'était progressivement trouvée enferrée dans des conflits doctrinaux multiples, au point que les débats s'étaient alors déportés hors du parti au sein des clubs. Qu'entend-on ces dernières semaines au PS ? Obligation de refonte doctrinale ; volonté pour certains de sortir du cadre intellectuel et organisationnel habituel ; activation éventuelle de fondations, de clubs ou de "think tanks" plus ou moins affiliés au parti.
Dernier point, la position relative du PS dans le système de partis français. Comme la SFIO de l'époque, le PS se retrouve avec des partis sur sa gauche qui ne lui permettent pas d'envisager une coalition de gouvernement crédible et, sur sa droite, face à un centre soumis à des tendances centrifuges. La différence notable entre les deux périodes est l'effondrement du PC. De 20 % environ à l'époque, la surface électorale du PC est ramenée aujourd'hui à 5 % en moyenne sur les dernières élections, voire moins comme l'atteste le résultat calamiteux de Marie-George Buffet à la dernière présidentielle (1,93 %). Le point commun entre les deux périodes tient à la césure profonde existant entre une gauche dite "de gouvernement" et des partis qui sans être totalement "anti-système" selon la catégorisation de Sartori, sont dans une opposition doctrinale et institutionnelle frontale à l'égard des autres formations politiques. Résultat, la surface électorale de la gauche rend impossible, à moyen terme, toute coalition véritablement crédible de ce côté de l'échiquier politique. L'alternative éventuelle, comme l'a bien compris Ségolène Royal, se trouve au centre, avec cette difficulté supplémentaire que le centre politique n'a pas de cohérence organisationnelle et idéologique telle qu'elle puisse constituer un marqueur identitaire suffisamment fort pour nourrir une alliance. Au contraire, comme à l'époque de la création de la Ve République, le centre se trouve en phase d'éclatement et de recomposition constante, en raison de la double pression nourrie par des logiques électorales majoritaires qui lui sont défavorables et par l'attraction exercée à droite par un leader suffisamment fort pour développer un appel électoral composite. Il ne s'agit pas de sous-entendre que le général de Gaulle et Nicolas Sarkozy sont semblables en tous points, mais simplement de montrer que les logiques de recomposition politiques et électorales se sont faites, au moins pour une période limitée, à partir de leurs stratégies respectives de conquête du pouvoir et de leurs volontés communes d'exercer un appel et d'incarner une offre politiques larges et composites. D'où une difficulté pour le PS comme pour la SFIO d'agréger et de structurer une offre politique alternative susceptible de permettre une alternance.
L'histoire ne se répète pas, mais qu'était-il arrivé à la SFIO ? Une lente érosion électorale, associée à une recomposition idéologique et organisationnelle de la gauche hors du parti. Une reconstitution d'un appareil cohérent autour d'une doctrine (la rupture avec le capitalisme), d'une stratégie (le programme commun avec le PC et les radicaux) et d'un leader incontesté (François Mitterrand). Le tout étalé sur 23 ans d'opposition...

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