Politique des anges...

La politique, c'est d'abord l'une des premières critiques construites du quinquennat Sarkozy sous la plume d'un ancien ministre travailliste, Denis Macshane dans Libération du 11 décembre 2007 :

"En 1985, j’ai écrit un article intitulé «Leçons françaises à l’usage du Labour». Le Labour était alors antieuropéen, antiaméricain et opposé à toute modernisation économique. A l’inverse, la France de Mitterrand, de Mauroy et de Fabius soutenait la création du marché unique et encourageait le développement d’entreprises d’envergure internationale comme Saint-Gobain ou Renault. François Mitterrand se rendait au Bundestag, en Allemagne, pour appuyer le programme américain de missiles défensifs contre l’URSS alors que le reste de la gauche européenne trouvait des excuses au régime soviétique. Aujourd’hui, c’est M. Sarkozy qui chante les louanges du protectionnisme et téléphone à Poutine pour le féliciter des résultats d’élections truquées, pendant que le reste de l’Europe est consterné par le retour de l’autocratie en Russie.
Malgré l’usure de dix années de pouvoir, le Labour demeure une référence pour quiconque aspire à réinventer la gauche en Europe. Mais l’hostilité envers les Anglo-Saxons en général et le mépris pour Tony Blair en particulier sont tels, dans les rangs de la gauche parisienne, qu’il ne se trouve personne pour écrire un article intitulé «Leçons anglaises à l’usage du PS». Les socialistes français en sont encore à croire que leur rôle est d’apprendre au monde à comprendre la France, et non d’apprendre à la France à comprendre le monde. Les critiques françaises du Labour soulignent la proportion importante d’emplois à temps partiel en Grande-Bretagne sans comprendre que, pour un parti de gauche, remettre les gens au travail est le premier impératif. Pour lutter contre le chômage, la gauche française a choisi d’imposer les 35 heures, entretenant l’idée fallacieuse que le travail était une denrée limitée qu’il convenait de redistribuer. Les touristes en visite à Paris sont choqués du nombre de SDF. Le spectacle des banlieues, où des agents de police antiémeute patrouillent arme au poing comme en territoire occupé, n’est pas glorieux. La semaine dernière, dans Libération, on apprenait que 12 % des Français vivent sous le seuil de pauvreté. Welcome dans la France de Sarkozy. La tradition bonapartiste du chef de l’Etat, source unique de l’autorité, perdure. Dans ce système présidentiel, il est plus difficile à la gauche de développer une alternative, elle qui est, par nature, opposée à l’idée de s’en remettre à un dirigeant héroïque.
Le Labour des années 80 était peuplé d’Arnaud Montebourg qui s’insurgeaient contre l’Europe et soutenaient que le peuple, et non le parti, devait être rééduqué. Après le long déclin des années 60 et 70, une alliance pour le changement rassembla les meilleurs éléments de l’appareil d’Etat, les entrepreneurs prêts à tirer parti de la mondialisation et la génération de 1968, aisément séduite par une rhétorique antiétatiste. Mme Thatcher avait un ennemi à vaincre et des alliés qui reconnaissaient que la Grande-Bretagne était sur la voie du déclin et que seuls des changements douloureux pourraient l’en détourner. M. Sarkozy n’a pas d’ennemi clair. S’il veut le changement, il devra s’en prendre à ses soutiens, qui bénéficient de protections dans l’appareil d’Etat, dans de nombreuses professions et dans les entreprises du capitalisme «à la française». Il pourrait imiter Thatcher en vendant EDF. D’un trait de plume, la vente rapporterait assez pour rembourser la dette française, qui atteint aujourd’hui le double de la dette britannique et dont les intérêts annuels absorbent la quasi-totalité du produit de l’impôt sur le revenu. Mais ce n’est pas Sarkozy, tenant du colbertisme, qui le fera. Il veut une révolution économique sans douleur. Aux yeux d’un observateur britannique, il ressemble davantage à Edward Heath, Premier ministre britannique dans les années 70, qu’à Thatcher ou à Blair, qui ont su faire évoluer les mentalités. Il y a là une opportunité pour une gauche intelligente. Le talon d’Achille de Sarkozy est la persistance du chômage.
Ses avances au président américain alors que les Etats-Unis s’apprêtent à tourner la page Bush-Cheney, tout comme sa rhétorique belliqueuse à l’encontre de l’Iran au moment même où la communauté du renseignement américain revoit son évaluation de la menace à la baisse, témoignent d’un curieux décalage avec les enjeux actuels. Sarkozy se montre peu intéressé par l’Europe. Ses attaques contre la Banque centrale européenne, son plaidoyer pour que l’Union européenne se rallie à une idéologie protectionniste et son hostilité islamophobe envers la Turquie ne sont pas si éloignés des positions eurosceptiques et nationalistes du Labour des années 80 ou du Parti conservateur aujourd’hui. Sarkozy pourrait bien ne pas s’inscrire dans la durée, comme de Gaulle ou Mitterrand, mais n’être que l’homme d’un moment. Cela dépendra de la capacité de la gauche, et du Parti socialiste au premier chef, à se montrer à la hauteur du défi plutôt que de se contenter de critiquer Sarkozy sans admettre que la pensée et la pratique de la gauche ces vingt dernières années ne sont pas la solution, mais bien une partie du problème. La France demeure la nation indispensable de l’Europe. La France qui perd confiance dans son économie, sa politique étrangère et sa culture, ne fait qu’entraîner l’Europe dans son doute existentiel sur les conséquences des réformes en cours. En leur temps, Willy Brandt en Allemagne, Felipe González en Espagne et Tony Blair en Grande-Bretagne ont forcé leur gauche à se débarrasser des vaches sacrées représentées par l’opposition à l’économie de marché ou à l’Otan. La gauche française est-elle capable de se réinventer ? Et qui, au sein du Parti socialiste, est capable de dire la vérité ?"
C'est aussi l'incroyable ballet de faux-semblants autour des "infirmières bulgares" avec comme (dernier) point d'orgue, le témoignage de Claude Guéant devant la commission parlementaire créée pour l'occasion (Libération du 14 décembre 2007) :
"Il y avait quelque chose de surréaliste à assister, hier après-midi, à l’audition de Claude Guéant par la commission parlementaire d’enquête sur les conditions de la libération des infirmières bulgares, pendant que le colonel Kadhafi, en visite officielle à Paris, paralysait la capitale, où il a visité le Louvre. La contrepartie ? Mais elle est là, sous nos yeux, en chair et en os dans sa limousine blanche. Le secrétaire général de l’Elysée l’a dit à sa manière, ronde et polie comme un galet, sans dévier de la version officielle : «Il n’y a pas eu de contreparties [...] La France n’a pas déboursé le moindre centime. La France n’a pas conclu le moindre contrat pendant les négociations [...]. Elle n’a pas échangé [les infirmières bulgares] contre des perspectives de coopération.»
«Résigné». Auditionné au dernier jour des séances publiques de la commission, Claude Guéant est sans doute l’homme qui connaît le mieux le dossier, après Nicolas Sarkozy et Muammar Kadhafi. Il a accompagné Cécilia Sarkozy lors de ses deux voyages en Libye, les 12 et 13, puis du 22 au 24 juillet. Claude Guéant a souligné le rôle décisif de l’ex-épouse du chef de l’Etat, que le président (PS) de la commission, Pierre Moscovici, a regretté une nouvelle fois de ne pas pouvoir auditionner. C’est elle qui a arraché à Kadhafi une «accord de principe, résigné et du bout des lèvres», lors d’un tête-à-tête l’après-midi du 23 juillet. Mais la décision de Kadhafi «a du mal à se mettre en œuvre» et il faut un «ultimatum» dans la nuit pour arracher les six prisonniers aux Libyens.
Bien qu’il n’ait éludé aucune question, Claude Guéant a laissé un goût d’inachevé. D’abord sur le début des tractations : il a expliqué que le premier contact remontait à un coup de fil donné le 10 mai (c’est-à-dire avant la prise de fonction de Nicolas Sarkozy) par le chef des services libyens de renseignements, Moussa Koussa, avec qui il était en contact à l’époque où il œuvrait place Beauvau. Le soir même de sa victoire, le 6 mai, Sarkozy avait, de façon surprenante et en faisant un lapsus, réclamé la libération des «infirmières libyennes». Selon le secrétaire général, il est «assez logique que le colonel Kadhafi, qui est sur le chemin de la réhabilitation, noue un lien avec un pays qui compte et un Président nouveau».
Ensuite, quel rôle a joué le Qatar dans l’accord financier entre le Fonds de développement économique et social, côté libyen, et le Fonds international de Benghazi, représentant l’Union européenne, sur l’indemnisation des familles des enfants malades du sida (un million de dollars par famille) ? Mystère. «C’est vrai que le Qatar a joué un rôle, j’en suis sûr mais je suis incapable de dire ce qui s’est dit [entre Sarkozy et le Premier ministre du Qatar].» Maladroitement, il évoque la chaîne Al-Jezira, basée au Qatar, qui ferait peur à Kadhafi. La bonne blague !
Berlusconi. En fait, cette affaire est on ne peut plus claire. Claude Guéant a tout dit hier, lorsqu’il a raconté avoir expliqué dès le début aux Libyens qu’il n’y aurait ni visite en Libye, ni en France, ni contrats tant que les infirmières seraient détenues. D’ailleurs a-t-il fait remarquer, d’autres - dont Chirac, Blair et Berlusconi - sont allés à Tripoli sans poser de condition. Et aujourd’hui, c’est Kadhafi qui est à Paris. Et bientôt Madrid et Rome."
Quelques échappatoires...



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