A quoi sert Frédéric Lefebvre ?

Il y a plusieurs réponses à cette question. Certaines ont le double avantage de l'évidence et de la simplicité : "A rien", "A rien qu'à nous agacer", "A susciter de nouveaux trophées", etc... Tout cela est sans doute vrai/pertinent sous un certain regard, mais d'autres angles d'analyse sont possibles. A l'écouter enfiler les perles et les inepties avec morgue et démagogie, on finit par se dire en effet qu'il joue un rôle bien précis dans l'arsenal des positions et stratégies de Nicolas Sarkozy (car sinon, franchement...).

Si l'on s'interroge sur son rôle et ses "fonctions", au sens ancien du fonctionnalisme et non pas seulement en faisant référence à son poste actuel de porte-parole de l'UMP, il apparaît ainsi que Frédéric Lefebvre occupe probablement un espace discursif et politique singulier, qui a une importance certaine dans l'ensemble des discours et positions utiles à la réélection de l'actuel président. Ce n'est pas véritablement la fonction tribunicienne que Georges Lavau avait identifié à propos du Parti communiste français, dans son ouvrage A quoi sert le Parti communiste français ?, car cette fonction reposait essentiellement sur la capacité d'agrégation et de représentation dans l'espace électoral d'intérêts habituellement non pris en compte, en particulier ceux de classes défavorisées. Rien de tout cela chez Lefebvre, qui ne vise pas une clientèle électorale précise, mais la nébuleuse du "Café du commerce". Comme le disait Laurent Fabius dans une phrase malheureuse à propos de Jean-Marie Le Pen, "Il dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas" et il en restera toujours quelque chose, une vague réminiscence chez certains et l'idée que "Oui, au fond, c'est un peu ça". 

Dans un post récent sur son blog, Christophe Bouillaud analyse les récentes prises de position de Lefebvre (et d'autres membres de la majorité d'ailleurs) à propos de la possible privatisation de La Poste. Mais si l'on dépasse ce cas précis, on peut supposer qu'il ne fait que décliner là les logiques fonctionnelles attachées à sa position particulière dans l'entourage de l'actuel président. Qui va le croire sérieusement ? Pas grand-monde, mais suffisamment peut-être pour susciter un assentiment ou réaffirmer une conviction, aussi ténue et mal fondée soit-elle.

Frédéric Lefebvre n'est alors qu'un élément de plus dans la stratégie d'occupation maximale de l'espace politique, qui est l'une des caractéristiques les plus originales de Nicolas Sarkozy. Persuadé d'avoir fait le plein à droite et partiellement à l'extrême-droite, l'actuel président entend gouverner et assurer sa réélection en "bougeant les lignes" selon l'une de ses expressions récurrentes. "Bouger les lignes", c'est emprunter des idées/individus à l'opposition, en ne craignant pas réellement les incohérences ou les dissensions, mais c'est aussi envoyer des signaux différents, qui visent les "marges" de l'électorat ou l'impensé de ce même électorat. En ce sens, Frédéric Lefebvre sert à quelque chose et... à Nicolas Sarkozy ("Ouais, bon, peut-être, mais il m'agace vachement quand même", dit mon impensé, qui se prend pour Lefebvre ou quoi ?).

Commentaires

Camille B. a dit…
Frédéric Lefebvre sert à beaucoup de choses : il sert à faire paraître sympathique (relativement et pas dans l'absolu, quand même) tous les autres membres de la majorité, à taper sur l'opposition sans avoir à prendre de pincettes ("on a des photos", la grande classe!), il sert à réhabiliter la mode des cheveux longs, il sert à reprendre le créneau "je fais de la politique mais je parle comme les vrais gens de la France vraie" que Sarkozy peut moins occuper qu'auparavant de par sa fonction présidentielle, il sert à jeter dans la Seine les corps encombrants (oui, il a une tête de mafieux), et puis il fait radio réveil.
Yves Surel a dit…
Je me disais bien que vous étiez douée pour ajouter des entrées à des listes incomplètes... Oui, vous avez raison, ce garçon est multicartes, un vrai couteau suisse, avec une réelle continuité dans l'ambiance "cour d'école" ("T'ar ta gueule à la récré").
Bouillaud a dit…
Je suis d'accord sur ton analyse; en même temps, cela explique que, pour l'heure, il ne soit pas encore "Ministre de la République", sa parole aurait alors plus de poids, et, du coup, il risquerait d'avoir à démissionner suite à une saillie un peu trop osée tout de même (sur un pays étranger par exemple). Il est enfermé dans son rôle en somme, est-ce que ce rôle lui plaire toujours? A comparer à la carrière du même genre, plus réussie de N. Morano.

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