Parler des livres que l'on lit

Expérience amusante de lecture : je suis en train de lire parallèlement le dernier ouvrage de Pierre Bayard, Comment parler des livres que l'on a pas lus?, et le dernier Prix Goncourt, Les Bienveillantes de Jonathan Littell. Ou comment décider d'aller jusqu'au bout d'un livre qui s'annonce indigeste avec comme viatique un court essai qui théorise la non-lecture comme le rapport ordinaire que nous avons tous aux livres.
Pierre Bayard, de la même façon subtile et amusante que dans ses ouvrages précédents, montre en effet, que le rapport le plus courant que nous ayons à la lecture est la non-lecture, qui va de l'ignorance subie ou voulue à l'oubli plus ou moins sélectif de ce que l'on a lu. Le rapport ordinaire à l'écrit n'est donc pas la connaissance, au sens le plus strict du mot, mais la méconnaissance totale ou partielle des livres.
Une telle analyse est immédiatement compréhensible, de façon presque sensible, par ceux qui ont pour habitude et/ou pour profession, un rapport obligé et constant aux livres. Dans une discipline universitaire, il est ainsi de plus en plus difficile de maitriser les publications qui s'accumulent. Une bonne partie du travail consiste dès lors à repérer, à classer et à hiérarchiser les articles et les ouvrages qui nourrissent le savoir reconnu, sans lire nécessairement de manière systématique les publications en question. Ce travail, dont la qualité inégale finit par être l'un des critères discriminant les uns par rapport aux autres, est facilité par ce que Pierre Bayard appelle "l'orientation" : "Être cultivé, ce n'est pas avoir lu tel ou tel livre, c'est savoir se repérer dans leur ensemble, donc savoir qu'ils forment un ensemble et être en mesure de situer chaque élément par rapport aux autres". Avoir de bonnes raisons de lire, au-delà du plaisir que l'on peut en retirer, c'est donc tenter de repérer l'ouvrage dans cet ensemble et voir si sa lecture mérite le détour.
Pourquoi dès lors lire Les Bienveillantes, sachant que mon "éthique", nourrie d'un rapport sacralisé aux livres, m'interdit d'abandonner une lecture ? Pas parce que c'est un ouvrage consacré par le Goncourt ; depuis cette vue "d'ensemble" dont parle Bayard, ce serait plutôt un contre-argument (le prix consacre le plus souvent des "mauvais" livres). Pas parce qu'il faut le lire, la non-lecture de ce genre d'ouvrage pouvant être socialement un élément de distinction. Pas par plaisir, le sujet n'étant pas a priori "facile" et le style, après les premières pages, pas particulièrement remarquable. Alors quoi ? Nous verrons. En première analyse, deux raisons : on me l'a offert et l'écho lointain de sa réception a suscité un vague intérêt.

Commentaires

Anonyme a dit…
Il y a de quoi être décontenancée, à la lecture de votre blog.
Où l'on découvre un savant panachage entre froide intelligence, présentation impeccable, et musique eighties; on penserait presque que Pat Bateman a pris chair, et qu'il écrit un blog.

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