Le temps change

Ceci n'est pas un billet météo.
La science politique, comme d'autres sciences sociales d'ailleurs, est souvent décrite comme une science a-historique, ce qui veut dire à peu près qu'elle ne concevrait d'autres objets que contemporains, sans prise en compte du passé, sans décliner pusieurs formes de temporalité ou encore sans mobilisation de sources archivistiques. C'est un reproche qui a sans doute été fondé dans certaines disciplines ou sous-disciplines, dans certains contextes et à certaines... époques (sciences sociales fascinées par les hypothèses fonctionnalistes et l'illusion du temps présent). Il ne l'est plus beaucoup grâce à de multiples travaux qui prennent en compte le temps comme dimension et le passé comme un ensemble de possibles objets, même s'il y a une différence très nette entre ceux qui voient le temps comme un vecteur de périodisation et d'ordonnancement des données (notamment statistiques) et ceux qui reprennent à leur compte les préceptes de la démarche historienne. Cette réappropriation du temps, voire de l'histoire, a été, comme souvent, sans doute plus prononcée encore (ou le mouvement de balancier y a été décrit comme plus important...) aux Etats-Unis, où l'on a parfois parlé d'un "historic turn" (encore ces tournants...) en sciences sociales ces dernières années et où un ouvrage comme le Politics in Time de Paul Pierson est une bonne illustration de certains débats passés ou en cours.
Il ne s'agit pas de faire ici un bilan (je dirai du mal d'une partie de la socio-histoire une autre fois...), mais l'actualité montre que le temps et les différentes formes de temporalité ne sont toujours pas nécessairement prises en compte ou même observées en tant que telles par les politistes. Exemple, l'étude des cycles électoraux. Dans la plupart des travaux, l'idée de départ, assez simple, consiste à tester les effets de échéances électorales sur les comportements des acteurs politico-administratifs et sur les politiques publiques. Ce constat de bon sens (après tout, les élections doivent avoir un "effet" en démocratie) donne lieu à des hypothèses inégalement complexes et pertinentes, par exemple l'idée que les gouvernements pourraient être enclins à augmenter les dépenses publiques avant une élection pour capter le plus de clientèles électorales possibles. Les résultats donnent des indications assez contrastées. Par exemple, dans une étude portant sur les gouvernements britanniques depuis 40 ans, si certains ont pu utiliser cet outil (avec une intensité variable suivant les contextes), d'autres Premiers Ministres ont exclu l'usage d'un tel calcul électoral sur les finances publiques.
D'autres notions sont sans doute plus "fructueuses", notamment celle de "fenêtre politique" développée par John Kingdon, qui repose sur l'idée qu'une alternance gouvernementale (l'équivalent fonctionnel d'une révolution selon Key) peut conférer une marge de manœuvre importante à un gouvernement réformateur pendant un laps de temps plus ou moins long (on admirera la précision de cette assertion scientifique, c'est presque du Fernand Raynaud...). J'ai moi-même utilisé cette notion pour montrer que l'arrivée des socialistes en 1981 avait conduit à des réorientations d'objectifs et à de nouveaux échanges entre acteurs publics et privés dans certains domaines, en particulier dans les politiques du livre.
Mais ce qui me frappe dans l'actualité récente (oui, quelques lignes pour en arriver au fait du jour...), c'est qu'il existe peu de travaux sur la façon dont les acteurs politiques "gèrent" le temps et les différentes temporalités (électorales, administratives, internationales, etc.) auxquelles ils sont confrontés. Plusieurs témoins des mandats de François Mitterrand ont dit par exemple à quel point il avait le souci de "jouer" avec le temps, accélérant un processus de décision à certains moments, "suspendant" le temps dans d'autres circonstances.
Cette gestion du temps n'est pas toujours "performante" et deux leaders me semblent avoir fait récemment preuve d'une gestion calamiteuse du temps en annonçant bien à l'avance des décisions qui leur ont fait perdre du crédit et... du temps. Le premier est Tony Blair qui en anticipant la date de son départ du 10, Downing Street, s'est mis dans la situation de ne plus pouvoir décider de rien et d'agacer à peu près tout le monde pendant plusieurs mois. Le second est Nicolas Sarkozy, qui repousse sans cesse un remaniement gouvernemental annoncé... il y a longtemps. Or, ce que montre la presse et certains processus de décision, c'est que cette incertitude "bloque" certaines politiques publiques et nourrit le sentiment (fondé) que la campagne pour 2012 a déjà commencé. La temporalité électorale, par l'effet de cette annonce, a donc parasité la temporalité de l'action publique, plus lente, moins "scandée" et pour partie dépendante de ces stratégies électorales. On décrivait parfois l'actuel président comme un homme de "coups", c'est aussi un acteur de "court terme".

A part ça, dans les pays scandinaves, y'a pas que l'Etat-Providence...





Commentaires

Cempazúchitl a dit…
Vous venez de décrire la différence entre théorie et pratique politique

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