Lilliput vs Blefuscu
Le conflit au CEVIPOF, labo auquel j'ai appartenu de 1998 à 2001 comme chargé de recherches et auquel je suis encore associé (a priori...), est une affaire importante..., qui mérite que Le Monde y consacre deux papiers la semaine passée, avant de publier aujourd'hui un billet signé par une partie des "légitimistes", mécontents de se voir brocardés et "défigurés" dans les articles précédents. Même Les Echos, journal plutôt habituellement éloigné de ces thématiques, s'est fendu d'une brève au sein de laquelle Dominique Reynié, professeur à Sciences Po et membre du CEVIPOF comme chercheur associé lui aussi et que je connais pourtant un peu après avoir siégé avec lui dans le précédent jury d'agrégation de science politique, tient des propos faux, déplacés et totalement inadmissibles sur le plan éthique, en évoquant le fait que certains "scissionistes" seraient partis pour des raisons idéologiques, liées à leur posture négative à l'égard de l'intégration européenne.
Autant le dire franchement, on a dépassé le grand n'importe quoi.
Pour ceux qui ne connaissent pas nécessairement cet immanquable épisode de la guerre éternelle entre Lilliput et Blefuscu, le conflit s'est déroulé ces derniers mois autour d'un enjeu majeur, celui de la reconduction du directeur du CEVIPOF, Pascal Perrineau. Tout le reste a une importance secondaire, en particulier cette prétendue bataille entre les "Anciens" et les "Modernes" décrite dans Le Monde, une bêtise qui me ferait rire si elle ne concernait pas des gens que je connais et si ce n'était pas une nouvelle preuve de l'impressionnante capacité actuelle de ce journal à publier des articles erronés, mal écrits et partisans.
Les données du problème ? Pascal Perrineau est directeur depuis 1992 ou 1993 et demandait à faire un nouveau mandat de 4 ans, soit le dernier des trois qui lui soit permis depuis la refonte du CEVIPOF il y a 8 ans, qui avait remis les compteurs à zero (PP avait déjà fait deux mandats après avoir succédé à Annick Percheron dans une précédente "version" du labo). Il semblait à beaucoup, dont je suis, qu'un passage de témoin apparaissait souhaitable et possible, après plus de 15 ans d'une direction, dont il est difficile de ne pas reconnaître les mérites (ouverture du CEVIPOF à de nouvelles thématiques, présence du labo dans les publications et les médias, début d'une internationalisation des liens et des projets de recherche). Lorsque j'y étais encore chercheur, le CEVIPOF avait déjà commencé à évoluer vers un centre de recherches plus généraliste qu'il ne l'était en intégrant les politiques publiques, la comparaison et l'étude de l'intégration européenne. Même si je n'en ai jamais discuté avec lui, je ne pense pas que cette évolution ait été désirée par PP, mais elle ne fut pas alors empêchée et, comme d'autres, je m'étais plutôt senti encouragé à l'époque dans mes projets, y compris dans la préparation à l'agrégation de science politique (je me souviens d'une leçon blanche pour l'épreuve sur dossier avec Perrineau et Reynié, qui fut pour beaucoup dans ma réussite à la véritable leçon). Le projet intellectuel plus ou moins formalisé à l'époque reste de mon point de vue une bonne approximation de ce qu'un centre de recherches en science politique associant analyse électorale, philosophie politique et politiques publiques dans une perspective comparée pourrait et devrait être.
Ce projet a buté sur les egos des uns et des autres et sur les tensions nées de l'évolution des rapports de force au sein du labo. Les signataires de la motion aujourd'hui publiée dans Le Monde jouent habilement de certaines ambiguïtés et distillent à dose homéopathique quelques fausses informations. Il faut par exemple une bonne dose d'imagination pour considérer que les "légitimistes" sont en pointe dans la discipline à l'échelle internationale. Certains le sont pour partie (pas plus de deux ou trois...), mais la maîtrise de la littérature, des réseaux et des "codes" de la discipline est très largement chez les partants. Même si les critères bibliométriques n'ont pas bonne presse, je viens de faire un test au hasard sur quelques membres des deux "camps" : on trouve par exemple 7600 citations pour l'un des "scissionistes" contre moins de 600 pour l'un des légitimistes (et en élargissant le panel, j'obtiens des résultats identiques). Même chose pour les projets de recherche internationaux, type PCRD de l'Union européenne. Conclusion : faut pas pousser...
On pourrait encore plus aisément contester d'autres arguments (comme l'opposition stupide entre science politique et sociologie, qui sert de paravent à l'absence totale de travail de fond chez beaucoup). Outre l'impression de gâchis et le sentiment d'avoir vu les "conjurés" se faire gentiment manipuler (y compris dans l'article du Monde...), ce qu'il faut retenir de mon point de vue tient en deux éléments : dans le milieu des enseignants-chercheurs, la rareté des ressources et des positions de pouvoir débouche sur des conflits qui ne peuvent être résolus que par inclusion/exclusion ; les institutions universitaires comme Sciences Po ne savent toujours pas gérer les "académiques" (il faudrait faire un autre post sur les positions ambigües des responsables scientifiques et administratifs de Sciences Po et de sa tutelle immédiate, la Fondation Nationale de Sciences Politiques, qui ont laissé pourrir un conflit localisé et à l'importance toute relative).
Mais voilà...
"Allez au diable
Je m'appelle Samuel Hall
Je vous déteste tous"
Autant le dire franchement, on a dépassé le grand n'importe quoi.
Pour ceux qui ne connaissent pas nécessairement cet immanquable épisode de la guerre éternelle entre Lilliput et Blefuscu, le conflit s'est déroulé ces derniers mois autour d'un enjeu majeur, celui de la reconduction du directeur du CEVIPOF, Pascal Perrineau. Tout le reste a une importance secondaire, en particulier cette prétendue bataille entre les "Anciens" et les "Modernes" décrite dans Le Monde, une bêtise qui me ferait rire si elle ne concernait pas des gens que je connais et si ce n'était pas une nouvelle preuve de l'impressionnante capacité actuelle de ce journal à publier des articles erronés, mal écrits et partisans.
Les données du problème ? Pascal Perrineau est directeur depuis 1992 ou 1993 et demandait à faire un nouveau mandat de 4 ans, soit le dernier des trois qui lui soit permis depuis la refonte du CEVIPOF il y a 8 ans, qui avait remis les compteurs à zero (PP avait déjà fait deux mandats après avoir succédé à Annick Percheron dans une précédente "version" du labo). Il semblait à beaucoup, dont je suis, qu'un passage de témoin apparaissait souhaitable et possible, après plus de 15 ans d'une direction, dont il est difficile de ne pas reconnaître les mérites (ouverture du CEVIPOF à de nouvelles thématiques, présence du labo dans les publications et les médias, début d'une internationalisation des liens et des projets de recherche). Lorsque j'y étais encore chercheur, le CEVIPOF avait déjà commencé à évoluer vers un centre de recherches plus généraliste qu'il ne l'était en intégrant les politiques publiques, la comparaison et l'étude de l'intégration européenne. Même si je n'en ai jamais discuté avec lui, je ne pense pas que cette évolution ait été désirée par PP, mais elle ne fut pas alors empêchée et, comme d'autres, je m'étais plutôt senti encouragé à l'époque dans mes projets, y compris dans la préparation à l'agrégation de science politique (je me souviens d'une leçon blanche pour l'épreuve sur dossier avec Perrineau et Reynié, qui fut pour beaucoup dans ma réussite à la véritable leçon). Le projet intellectuel plus ou moins formalisé à l'époque reste de mon point de vue une bonne approximation de ce qu'un centre de recherches en science politique associant analyse électorale, philosophie politique et politiques publiques dans une perspective comparée pourrait et devrait être.
Ce projet a buté sur les egos des uns et des autres et sur les tensions nées de l'évolution des rapports de force au sein du labo. Les signataires de la motion aujourd'hui publiée dans Le Monde jouent habilement de certaines ambiguïtés et distillent à dose homéopathique quelques fausses informations. Il faut par exemple une bonne dose d'imagination pour considérer que les "légitimistes" sont en pointe dans la discipline à l'échelle internationale. Certains le sont pour partie (pas plus de deux ou trois...), mais la maîtrise de la littérature, des réseaux et des "codes" de la discipline est très largement chez les partants. Même si les critères bibliométriques n'ont pas bonne presse, je viens de faire un test au hasard sur quelques membres des deux "camps" : on trouve par exemple 7600 citations pour l'un des "scissionistes" contre moins de 600 pour l'un des légitimistes (et en élargissant le panel, j'obtiens des résultats identiques). Même chose pour les projets de recherche internationaux, type PCRD de l'Union européenne. Conclusion : faut pas pousser...
On pourrait encore plus aisément contester d'autres arguments (comme l'opposition stupide entre science politique et sociologie, qui sert de paravent à l'absence totale de travail de fond chez beaucoup). Outre l'impression de gâchis et le sentiment d'avoir vu les "conjurés" se faire gentiment manipuler (y compris dans l'article du Monde...), ce qu'il faut retenir de mon point de vue tient en deux éléments : dans le milieu des enseignants-chercheurs, la rareté des ressources et des positions de pouvoir débouche sur des conflits qui ne peuvent être résolus que par inclusion/exclusion ; les institutions universitaires comme Sciences Po ne savent toujours pas gérer les "académiques" (il faudrait faire un autre post sur les positions ambigües des responsables scientifiques et administratifs de Sciences Po et de sa tutelle immédiate, la Fondation Nationale de Sciences Politiques, qui ont laissé pourrir un conflit localisé et à l'importance toute relative).
Mais voilà...
"Allez au diable
Je m'appelle Samuel Hall
Je vous déteste tous"
Commentaires
Ta réaction sur le cas Cevipof me parait des plus saines.
Je n'aurais pourtant qu'une réserve à ton analyse, plus à vrai dire sur le plan moral que factuel (qui me parait inattaquable) : chacun a le droit de continuer sur son erre. On ne peut pas demander aux gens de se réinventer une histoire intellectuelle en fonction des contextes changeants. Chacun a ses défauts lorsque la situation historique change autour de lui. Les plus attentifs s'adaptent comme un Clint Eastwood ou un Bashung jusqu'à la veille de la mort, d'autres ont du mal, mais en sont-ils responsables?